09 décembre 2006

Coulibaly : "Nos hommes politiques sont comme des gamins"

ENTRETIEN AVEC… Abdoulatif COULIBALY, journaliste-écrivain : «Nos hommes politiques sont comme des gamins»

Le journaliste-écrivain, Abdoulatif Coulibaly, ne démord pas. Dans son fauteuil de directeur de l’Institut supérieur des sciences de l’information et de la communication (Issic), il revient, ici, sur la décomposition des partis politiques à la veille des élections et des candidats de la société civile.

La situation politique est marquée par la décomposition des partis et des alliances : Au Ps, il y a le courant ; à l’Afp, les cadres sont partis et la Cpa ne parvient pas à s’entendre sur un principe. Quelle explication donnez-vous à tout cela ?

Ce qui est en cause, ce n’est pas seulement l’opposition, mais la conception que la junte politique se fait de sa mission, de quelque bord qu’elle soit. Il n’y a pas que l’opposition. Le pouvoir est complètement éclaté en plusieurs pôles. Il y a le pôle de Aminata Tall, celui de Fada et il y a la dissidence de Idrissa Seck forcé. Il y a également, ce qu’on appelle les faucons et les autres, les modérés. Tout groupement politique est appelé à éclater chez nous. Regardez le parti minuscule de Doudou Sarr et de Mahmouth Saleh ! Regardez l’Urd de Djibo Kâ, à l’origine jusqu’à maintenant ! Les seuls partis stables sont les partis dits de gauche traditionnelle. A Aj/Pads, en dépit de la grogne de quelques cadres qui n’apprécient pas la conduite politique de Landing Savané, il n’y a pas de dissidence. La Ld/Mpt, le Pit n’ont pas de dissidence, dans le fond, tous les partis qu’on appelle des partis de masse. Est-ce que véritablement ces partis intègrent ce qui est leur mission ? Je n’en suis pas tout à fait sûr. Toutes les querelles sont des querelles de positionnement personnel où l’on oublie totalement l’intérêt général. Les responsables veulent toujours être en avant pour toujours assister au festin du partage du gâteau. Prenons le cas de l’Afp ! Nous avons entendu une dissidence incarnée par Mor Dieng qui reproche à Moustapha Niasse l’ambiguïté de son discours. Certainement, il a raison et il n’est pas seul et le premier à faire cette critique. Il s’est démarqué pour créer son parti, mais pour dire quoi ? «Je suis prêt à négocier avec tout parti qui viendrait vers moi». Mais, il va négocier non plus en tant que cadre de l’Ancp, qui pourrait être coopté dans un attelage, mais en tant que responsable de parti. Donc, c’est toujours pour se mettre dans une meilleure posture que les gens se querellent à l’intérieur des partis.

Vous semblez dire que les politiques ne pensent qu’à leurs intérêts personnels ?

C’est tout ! il n’y a pas autre chose. Les difficultés de la Cpa aujourd’hui, c’est quoi ? Comment des responsables, Abdoulaye Bathily, Moustapha Niasse, Ousmane Tanor Dieng, Amath Dansokho, Madior Diouf peuvent-ils regarder, les yeux dans les yeux, les Sénégalais pour leur dire qu’ils ont opté pour un régime parlementaire qui met le gouvernement au centre de la politique de l’Assemblée nationale et en même temps, chacun d’eux, plus Robert Sagna et Mamadou Diop, veut être président de la République ? Il y a une contradiction majeure qui ne peut pas convaincre les Sénégalais. C’est une contradiction liée simplement à la défense d’intérêts particularistes et de parti. Ils sont totalement disqualifiés de pouvoir dire aux Sénégalais : «nous ne sommes pas mus par des intérêts autres que nos intérêts personnels de parti et ceux liés à notre volonté de nous promouvoir toujours». C’est la même chose chez des gens qui avaient pensé que Idrissa Seck avait le pouvoir ; lui, également avait pensé qu’il avait le pouvoir. Abdoulaye Wade, qui ne veut rien savoir, par rapport à ça, se trouve dans une position où il a tranché, d’abord en renvoyant Idrissa Seck, ensuite en le mettant en prison pour que ses intérêts ne soient pas gênés. Le jour où l’on changera de démarche politique et de conception de la politique, il y aura moins de partis dans le pays ; il y aura plus de visions claires par rapport à ce qu’ils veulent faire.

Que pensez-vous, comme annoncé dans la presse, des possibles retrouvailles entre les militants de la première heure du Pds, notamment Mamadou Diagne Fada et Aminata Tall ?

Quand je lis la presse, j’essaie de comprendre l’information, l’analyse et la spéculation. Nous avons une presse qui est tellement prompte à saisir l’écume des choses. Mais, ce n’est pas parce que Aminata Tall dit la même chose que Diagne Fada qu’ils vont aller ensemble. Ils peuvent faire la même analyse d’une situation. Pourquoi en déduire qu’ils sont dans un camp ou ils complotent ensemble ? Ce que dit Aminata Tall, c’est exactement ce qui est dans vos rédactions. Diagne Fada ne conteste pas Abdoulaye Wade, c’est lui qui le dit, mais il conteste la direction et les orientations du parti. Est-ce que cela n’est pas normal qu’on le comprenne ainsi ? Et ce que j’ai entendu Fada dire, c’est d’un bon sens incroyable. Et encore, tous disent en privé que c’est la catastrophe dans le parti. Comme il n’y a pas de courant dans le Pds, Fada et Aminata Tall peuvent avoir les mêmes critiques.

Comment envisagez-vous les prochaines élections avec toute cette décomposition ?

J’ai comme l’impression, en regardant la scène politique sénégalaise, que ce sont des gamins qui s’amusent. Vous avez entendu les gens de Yoff, comment ils ont annoncé la candidature de Mamadou Diop. C’est ridicule. Mamadou Diop doit, lui aussi, être candidat parce que Tanor est candidat. Tanor, également, ne peut rien voir que Tanor Dieng candidat à la Présidentielle. Où est le pays dans tout cela ? Dans ce pays, il y a encore des pas sérieux à faire. Mais, j’ai comme l’impression que tout le monde s’amuse. Me Mame Adama Guèye, dans la société civile pendant des années, se lève un beau matin et pense qu’il est un homme neuf. Il faut qu’il soit candidat. Me Boucounta aussi. Il aurait même eu une étude qui les aurait présentés comme des hommes neufs voulus par les Sénégalais. Mais, quel Sénégalais ? Peut-être les gens de Dakar. En dehors de Dakar, qui connaît Mame Adama Guèye et Boucounta Diallo ? Il faut être sérieux.

Pourtant, certains soutiennent que c’est le désaveu des hommes politiques qui a occasionné ces candidatures de la société civile ?

C’est une prétention de croire que les hommes de la société civile peuvent se lever un jour et bousculer les hommes politiques qui en ont fait un métier et qui, depuis des années, travaillent à être les responsables de ce pays. C’est une étape décisive de l’escroquerie de la société civile. Une bonne partie de cette société civile, n’ayant pas le courage de s’engager ouvertement dans les partis politiques, adopte une position commode de les critiquer, et un jour se réveille comme par enchantement pour dire : «Nous, aujourd’hui, on va diriger ce pays parce que les autres ont échoué.» Quand on quitte son manteau de membre de la société civile pour revendiquer un mandat politique, on n’est plus de la société civile.

Avez-vous le sentiment que la société civile s’est acquittée de sa tâche ?

La vocation de la société civile n’est pas d’aller diriger quoi que ce soit. C’est un contre-pouvoir à l’ensemble des pouvoirs politiques qui sont établis, et l’ensemble des pouvoirs qui ont une influence dans l’exercice du pouvoir. Il s’agit de les contrôler, de les surveiller, de les contester, de les critiquer et de les encourager.

Alors, est-ce qu’elle a joué ce rôle durant ce septennat ?

Elle l’a fait plus ou moins ; elle l’a plus ou moins réussi. Pas toujours, mais quand même.

Pour parler de la presse, dernièrement, il y a beaucoup de contradictions entre des organes de presse dans le traitement de certains dossiers…

C’est une très bonne chose ! Il n’y a qu’au Sénégal où je vois quelque chose qui est dramatique pour la profession : quand un journal raconte des histoires et qu’on le sait sur des cas précis, personne n’a le courage de le dénoncer. Pour une fois, deux journaux se querellent sur des problèmes de traitement de l’information, c’est salutaire. Si les journaux prenaient leur responsabilité de s’attaquer entre eux, simplement sur la base du traitement de l’information, chaque professionnel qui prendrait sa plume pour écrire, regarderait par deux fois. Au fond, ce que les gens disent dans les salons, c’est nous-mêmes qui devions commencer à le dire. J’ai applaudi quand j’ai appris que les gens se chamaillaient. Ils ne parlent pas de problème de personne, mais de traitement de l’information. Pourquoi, quand Walfadjri traite d’une question, c’est son apanage. Aucun autre journal n’en parle. Même s’il raconte des histoires, tout le monde fait comme si c’était vrai. Et l’on est tellement prompt à le dire, quand ce sont les autres qui sont concernés. La notion de confraternité est tellement galvaudée. Même quand un confrère raconte des inepties, on dit que ce n’est pas confraternel de le démentir et de dire qu’il raconte des histoires. Si je raconte des histoires, que mes collègues me le disent en apportant la preuve. C’est un faux problème. La presse doit parler, doit dénoncer ce qui se passe dans la presse.

Mais, est-ce que cette contradiction ne décrédibilise pas la presse, en définitive ?

En quoi ? Le Figaro ne traite pas de la même manière les informations que Le Monde ou Libération.

Est-ce qu’ici, le traitement n’est pas biaisé par des partis pris ?

Je ne comprends pas. Parce que Walfadri a parlé de Idrissa Seck en tel terme, c’est partisan. Même s’il dit la vérité, c’est partisan. Ce n’est pas ça la conception du journalisme. D’ailleurs, comment peut-on reprocher à un journal de prendre fait et cause pour son éditeur ? Je veux parler du cas du Populaire. Le journal appartient à l’éditeur. La seule ligne qui appartient à l’éditeur, dans son journal, c’est la ligne éditoriale. Personne ne peut reprocher à Bara Tall que son journal le soutienne dans son épreuve. Surtout, d’ailleurs, si c’est une épreuve injuste qui procède de «brigandisme» et du gangstérisme d’Etat.

delfa@lequotidien.sn


Auteur: Cheikh Fadel BARRO


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