02 novembre 2006

Pêcher ou partir : les jeunes ont-ils le choix ?


Cet article met le doigt sur l'une des origines du départ massif des pirogues de l'espoir.
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Article de Youssoupha Mbengue, chargé de communication du programme GIRMaC, et Yves Prévost, responsable du projet pour la Banque mondiale, extrait du magazine "Les Échos de la Banque mondiale". Numéro 5 - Juillet 2006

Cogestion de la pêche :
sauver la pêche artisanale et lutter contre l’émigration des jeunes

Senegal

Le secteur de la pêche emploie 600.000 personnes, assure 17% du PIB et 25% des exportations

« Dem rekk » (« Partir à tout prix » dans la langue wolof). Ce slogan, véritable cri de ralliement de jeunes en mal de partance, reflète une tragique réalité : celle de l’émigration clandestine maritime qui défraie la chronique. Il s’agit de ces vagues massives de jeunes qui tentent de s’exiler par voie de mer, au péril de leur vie, en tentant de rallier le supposé eldorado occidental au détour des îles espagnoles des Canaries situées à plus de 1 500 km au Nord des côtes sénégalaises. Du coup, depuis le port de pêche de Guet Ndar (Saint-Louis) jusqu’au port de Hann (Dakar), obnubilés par le rêve d’un gain facile, nombre de jeunes pêcheurs du littoral sont attirés par l’aventure, que ce soit en convoyeurs ou en convoyés.

Mais le hic, c’est que le rêve se transforme souvent en cauchemar. Nombreux sont les cas de mort par pirogues chavirant en plein Atlantique, quand ce n’est par la faim et la soif ou simplement de jeunes emprisonnés. Ainsi, depuis le début de l’affaire dénommée dans le jargon des pêcheurs « Mbeukmi » (littéralement : le coup de tête), 1 500 personnes auraient péri dans le « ventre » de l’Atlantique, plus de 7 000 autres seraient détenues en Espagne.

Cette hystérie collective est symptomatique de la crise profonde affectant la pêche au Sénégal, un secteur qui emploie 600 000 personnes, assure 17% du PIB et 25% des exportations. Toute personne fréquentant les marchés de Dakar sait que les espèces nobles telles le thiof sont devenues rares et hors de prix. La surexploitation est telle que les captures chutent malgré un effort de pêche accru, comme l’illustre la fermeture récente d’Africamer, un des fleurons de l’industrie poissonnière. Cette surexploitation est particulièrement inquiétante, car elle touche principalement les espèces à forte valeur commerciale qui constituent l’essentiel des exportations. Il est inévitable de dresser un parallèle avec les pêcheries du Nord de l’Europe et de l’Est du Canada, où l’effondrement des stocks a résulté en une fermeture de certaines pêcheries et entraîné un accroissement de la pauvreté. Dans le contexte sénégalais, la crise risque de précariser encore plus des populations aux conditions de vie déjà difficiles. Secteur d’accueil pour les populations affectées par les sécheresses, la pêche de capture est, à son tour, en péril.

La responsabilité de cette crise est parfois reportée sur les flottes étrangères qui opèrent dans le cadre ou en marge d’accords de pêche. Il y a là une part de vérité, mais pour l’essentiel, cette rupture d’équilibre est une conséquence inattendue du développement spectaculaire de la pêche artisanale depuis l’indépendance, laquelle capture plus de 85% des prises débarquées au Sénégal. Les pirogues motorisées sénégalaises concurrencent maintenant les chalutiers sur toute la zone économique exclusive du Sénégal ainsi que dans plusieurs des pays voisins. La hardiesse et le courage des pêcheurs artisans sénégalais sont mondialement reconnus.

La crise de la pêche ne peut être résolue que si l’équilibre entre l’effort de pêche et les ressources disponibles est rétabli par des mesures telles que l’immatriculation du parc piroguier et la gestion de l’accès aux différents types de pêcheries selon des plans d’aménagement par zone et par groupe d’espèces. Une des pistes envisagées est la reconnaissance du rôle important du droit traditionnel, majoritairement accepté au Sénégal, lequel permettait aux communautés familiales et villageoises de gérer les ressources naturelles. Cette mesure est également la reconnaissance qu’une solution n’est possible que si les professionnels du secteur en sont partie prenante. Un autre élément clef est l’utilisation d’aires marines protégées (AMP) comme source de réapprovisionnement pour les zones de pêche.

C’est dans une telle ambiance générale d’inquiétude sur l’avenir de la pêche que des initiatives courageuses, dites de cogestion des pêcheries, sont en train de germer dans quatre sites historiques de pêche. Avec l’engagement politique du Gouvernement sénégalais, le soutien financier de ses partenaires au développement (la Banque mondiale et le Fonds pour l’environnement mondial), les pêcheurs des localités de Ouakam, Ngaparou, Foundiougne et Bétenti tentent, avec témérité, de prendre leur destin en main. Organisés en groupements privés intitulés Comités locaux de pêcheurs (CLP), ces communautés ont développé des projets porteurs d’espoir pour une gestion durable de la ressource halieutique, leur principale source de revenus.

Les initiatives proposées sont le fruit de l’ambitieux Programme de gestion intégrée des ressources marines et côtières (GIRMaC en abrégé). Lancé en juin 2005 par le chef du Gouvernement sénégalais, le GIRMaC est initialement prévu pour cinq ans (2005-2010) et bénéficie d’un financement total de 17 millions de dollars EU, dont un crédit de la Banque mondiale (10 millions de dollars EU), un don FEM (5 millions de dollars EU) et la contrepartie étatique. Le Programme est structuré en trois grandes composantes dont la première porte sur la gestion durable des pêcheries et la seconde, à vocation plus écologique, a trait, quant à elle, à la Conservation des habitats et des espèces critiques.

Près d’un an après son lancement officiel, l’appui du GIRMaC commence à être sensible au niveau des deux directions techniques chargées d’exécuter l’essentiel des activités. C’est ainsi que des cadres nationaux des pêches ont été formés en Asie de l’Est aux bonnes pratiques de la cogestion et ont pu, à leur retour, aider les villages pilotes à formuler leurs initiatives. Mieux, le processus d’implication des acteurs à la base semble particulièrement réussi. En effet, l’approche participative est au cœur des principes d’intervention du Programme. L’Administration des pêches accepte officiellement, pour la première fois de son histoire, de partager ses prérogatives régaliennes avec des acteurs à la base à qui on accorde, désormais, la prise effective d’initiatives pour gérer la ressource halieutique. Le concept de cogestion, ce compromis novateur entre l’autogestion communautaire et la centralisation gouvernementale, trouve ainsi un terrain fertile d’expérimentation.
Du côté de la biodiversité, l’objectif à terme n’est ni plus ni moins que d’améliorer sensiblement les performances du cadre de conservation de la biodiversité, notamment au niveau des sites d’ancrage côtier tels que le Parc national du delta du Saloum ou le Parc national des Oiseaux dit de Djoudj à Saint Louis, la troisième réserve ornithologique mondiale. L’heure est aujourd’hui à la mise sur pied de cadres de gouvernance formels pour les différents écosystèmes littoraux et l’élaboration de plans de gestion.

Les concepts d’Aires marines protégées (AMP) et de gestion par écosystème, réservés il y a encore peu de temps à une poignée de spécialistes, se démocratisent, se vulgarisent et se concrétisent. Ainsi, le Président du Sénégal, Me Abdoulaye Wade, a non seulement pris la décision d’officialiser cinq AMP, mais a également ordonné la création de dix autres AMP avant février prochain.
Au total, le déroulement du GIRMaC apparaît satisfaisant au vu des résultats engrangés. Toutefois, d’importants défis jalonnent encore le parcours sur le chemin, encore long, du développement durable des ressources marines et côtières. La préparation d’une loi-cadre sur la biodiversité et les aires protégées ainsi que la révision du code de la pêche, visant à bien encadrer les mesures requises pour surmonter la crise du secteur de la pêche, suivent méthodiquement leur bonhomme de chemin.

À défaut d’empêcher les jeunes sénégalais de rêver d’un eldorado utopique, le GIRMaC en offrant, par le biais de la cogestion, l’opportunité aux acteurs locaux de prendre leur destin en main, donne assurément des motifs d’espoir dans la perspective d’un développement intégré, endogène et durable des communautés littorales sénégalaises.

Cet article est un extrait du magazine trimestriel, Échos de la Banque mondiale, publié par le Bureau régional de Dakar (Sénégal, Cap-Vert, Gambie, Guinée-Bissau, Niger). Pour consulter le magazine en format PDF, veuillez cliquer ici. Pour en savoir plus sur ce magazine, veuillez contacter worldbank-senegal@worldbank.org.

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